Les audits qualitatifs

Il est rare qu’une entreprise se propose ex abrupto de procéder à un audit qualitatif. Celui-ci intervient en effet toujours dans des circonstances concrètes et parfois sous l’empire de l’urgence. Il s’agit par exemple de faire face à un conflit interpersonnel dont les tenants et aboutissants sont difficiles à démêler et qui contribue à polluer le climat social et à dégrader les résultats.

Le premier réflexe des dirigeants, en pareille circonstance, consiste à rechercher un bouc émissaire : « c’est la faute  au syndicat », « c’est à cause de Christine ». Ils peuvent s’en tenir à cette conviction ou faire appel à un intervenant extérieur en vue de résoudre le problème. Et c’est celui-ci qui, afin de trouver une solution, prendra le plus souvent l’initiative de proposer un audit. Il se trouve en effet dans la situation du médecin auquel son patient demande la guérison, quitte à lui suggérer l’origine de son mal ; le médecin, bien entendu, demandera avant toute chose à faire un diagnostic et à procéder à des examens ; et ce n’est qu’une fois le diagnostic établi sur la foi des examens qu’il pourra proposer une prescription thérapeutique (que le patient est libre de suivre ou de ne pas suivre).

Cet examen, dans le cas de l’audit fondé sur le témoignage des salariés, va nécessiter une clarification des objectifs poursuivis par le prescripteur ; il peut s’agir, pour la Direction d’une entreprise :

  • de chercher les voies de sortie d’une situation de crise, et pour cela d’en comprendre les ressorts,
  • de mettre fin à un conflit en procédant, à partir de l’expression de leurs points de vue respectifs, à une médiation entre les différentes parties prenantes,
  • de nourrir le dialogue social par la recherche de ce que sont les priorités d’amélioration aux yeux des salariés, ceci en vue d’orienter la politique sociale de l’entreprise d’une part, les priorités revendicatives des organisations syndicales de l’autre, ou de rechercher un terrain d’entente sur les thèmes repérés comme étant importants aux yeux du personnel,
  • de repérer les risques sociaux potentiels, en termes de tensions ou de désengagement, en en évaluant les facteurs de déclenchement.

Une fois les objectifs précisés avec le prescripteur et ceux-ci ayant été consignés sur une « proposition d’intervention », la mission, après acceptation de sa méthodologie, de sa déontologie (on y reviendra) et de ses conditions financières, peut démarrer. Elle comportera trois phases.

Tout d’abord, la préparation de l’enquête ; celle-ci doit être très soigneuse ; il s’agira :

  • de convenir de la liste des personnes qui seront sollicitéesen vue d’un entretien ; cette liste doit correspondre aux critères de constitution d’un échantillon : âge, ancienneté, sexe, métier, fonction hiérarchique éventuelle, mandat de représentation du personnel ; le nombre respectif des uns et des autres n’a pas besoin d’être proportionnel au nombre des intéressés ; ce qui importe, c’est la diversité des points de vue exprimés ; certains métiers, même très minoritaires, ne doivent pas être oubliés, en raison des informations que les intéressés sont susceptibles d’apporter (par exemple les agents de sécurité, dans la distribution, qui savent beaucoup de choses, ou, dans l’industrie, les outilleurs) ; en ce qui concerne la taille de l’échantillon, elle sera fonction des circonstances (taille de la structure examinée, nature des informations recherchées, etc.) ;
  • d’informer le personnelde l’objet de l’enquête et, en premier lieu, d’en informer le comité d’entreprise ou le CHSCT, qui dans certains cas demanderont à être consultés sur la finalité et la méthodologie retenues ; l’information du personnel lui-même passera par les moyens de communication propres à l’entreprise : note d’information ou information orale par les managers ;
  • d’informer les personnes pressenties en vue d’un entretien ; leur participation à l’enquête doit être fondée sur la base du volontariat et il peut arriver que certaines d’entre elle s’y refusent pour des raisons personnelles ; à cette occasion, il doit leur être précisé que les entretiens sont confidentiels et que la restitution d’une synthèse sera prévue à l’intention des personnes qui y auront participé ; ces deux garanties sont très importantes, notamment lorsque l’enquête intervient dans un climat de tensions et de méfiance à l’égard de la Direction ou de certains de ses membres ; les intéressés, en cas de méfiance, doivent avoir communication de la charte déontologique signée par le prestataire et par le commanditaire de l’enquête ;
  • d’organiser le calendrier des rencontreset un lieu approprié en vue de leur organisation ;
  • de prévoir, dès ce stade, la date de remise du rapport et des documents de présentation ainsi que les modalités de restitution, soit sous une forme écrite, soit sous forme d’une ou plusieurs réunions, cette seconde solution étant de loin préférable dans la mesure où elle permet une validation de la synthèse par les intéressés et un débat.

L’enquête proprement dite peut alors démarrer :

  • elle peut se heurter parfois, au départ, à une certaine méfiance (« vous verrez, personne ne vous dira rien ») ; il importe donc de rappeler à chaque personne entendue le principe de l’anonymat des témoignages et celui d’une restitution de la synthèse ; l’expérience montre que la confiance s’établit rapidement dès lors que l’auditeur a clairement manifesté son indépendance de jugement à l’égard de qui que ce soit ;
  • les entretiens sont d’une durée qui peut aller d’une demi heure à - dans quelques cas extrêmes - plusieurs heures ; leur planification doit être organisée en conséquence, certains d’entre eux devant être prévus en fin de journée dans la mesure où ils sont susceptibles de déborder par rapport à l’horaire prévue (c’est le cas notamment des représentants du personnel, qui ont souvent beaucoup de choses à dire).

La restitution des résultats comporte elle-même plusieurs phases :

  • tout d’abord, la rédaction d’un rapport de synthèse à partir du verbatim obtenu avec les entretiens ; ce rapport doit être intègre et exprimer l’ensemble des points de vue, éventuellement divergents, exprimés par les personnes rencontrées tout en respectant la confidentialité de leurs propos ; une version synthétique peut être prévue ainsi que des powerpoints de présentation ; ce rapport doit se conclure par des suggestions d’action, étant bien entendu que ce ne sont pas les auditeurs qui pourront les mettre en œuvre ;
  • certaines de ces conclusions pourront être communiquées oralement aux personnes directement concernées en vue d’éviter de les mettre en porte-à-faux et pour plus d’efficacité ;
  • la présentation pourra prendre la forme de réunions prévues à l’intention des personnes rencontrées, mais également, à la diligence de l’entreprise, à l’intention du CODIR, de l’encadrement et des représentants du personnel ; il est important que les documents de présentation soient les mêmes pour les uns et pour les autres ; ce n’est que dans l’impossibilité de recourir à de telles réunions que l’on aura recours à une note écrite.
  • cette ou ces réunions peuvent être l’occasion d’un débat et, pour la Direction, l’opportunité de présenter un commencement de plan d’action, quitte à ce que son contenu soit précisé par la suite ; il s’agit là d’un acte de management et, de ce point de vue, l’audit doit embrayer sur une suite concrète.

Certains puristes estiment que l’auditeur n’a pas à formuler de préconisations d’action ; ce n’est pas l’avis de l’auteur de ces lignes ; si le commanditaire demande un audit, c’est en vue d’agir sur la base de ses résultats ; il en attend donc des solutions pratiques et il importe donc de le mettre sur la piste de telles solutions. En revanche, il importe que l’auditeur s’interdise de participer à leur mise en œuvre afin de conserver toute son indépendance et que celle-ci ne soit pas mise en cause par l’espoir, qui pourrait lui être reproché, d’une mission ultérieure…

On notera que le comité d’entreprise ou le CHSCT disposent de la possibilité de recourir à une expert à qui sera demandé un audit ; cette faculté est légitime, à condition toutefois que l’expert ainsi diligenté observe lui-même une déontologie et une méthodologie très strictes :

  • prise en compte des différents points de vue, y compris de ceux de la Direction et du management,
  • présentation aux personnes rencontrées et à l’ensemble des parties prenantes,
  • parti pris d’objectivité interdisant d’adhérer a priori à la thèse que cherche à illustrer le commanditaire.

Les difficultés susceptibles d’être rencontrées :

  • méfiance du personnel face à l’enquête, compte tenu d’une atmosphère d’extrême méfiance à l’égard des initiatives de la Direction ; il peut arriver que certaines personnes demandent à ce que l’entretien ait lieu dans un local extérieur à l’entreprise, par crainte d’être écoutées,
  • difficulté à constituer un échantillon en toute indépendance par rapport aux souhaits de certains membre de la Direction ; on pourra alors, faute de mieux, se fier à une personne « neutre »,
  • difficulté à organiser le planning des rencontres, compte tenu des horaires et des emplois du temps ; l’auditeur ne devra pas hésiter à s’adapter aux horaires de ses interlocuteurs lorsqu’ils travaillent de nuit,
  • difficulté à trouver un lieu approprié en vue des entretiens (ce lieu présentant un caractère symbolique),
  • négligence ou mauvaise volonté du prescripteur en ce qui concerne la restitution des résultats comme il s’y était engagé ; l’auditeur ne devra pas hésiter lors à insister, quitte parfois à saisir les représentants du personnel.