Les différents canaux

La veille sociale peut passer par trois canaux différents. Ces canaux sont complémentaires et susceptibles de se compléter, ou de se corriger, les uns les autres. Le premier canal est constitué par la voie hiérarchique. L’encadrement de proximité, à travers les relations de travail de tous les jours, est le mieux placé pour connaître les réactions des salariés. Le fonctionnement de ce premier canal, pourtant, ne va pas de soi :

  • encore faut-il en effet que le manager (superviseur, chef d’équipe ou de rayon) accorde de l’importance à l’opinion émise par les membres de son équipe ; il faut, autrement dit, qu’il soit à l’écoute ; or, bien souvent, il a autre chose à faire : il lui faut atteindre les objectifs qui lui ont été fixés, assurer le reporting de ses résultat, organiser le travail, faire face aux multiples aléas quotidien ; dans ces conditions, l’écoute passe à l’arrière-plan ; par ailleurs, la perception qu’il a de ce que pensent les membres de son équipe est largement interprétée à travers le filtre de ses propres convictions ; autrement dit, l’écoute ne va pas de soi : il faut lui accorder de l’importance et elle peut toujours s’améliorer ;
  • encore faut-il également que le point de vue des managers de proximité soit pris en considération par leurs supérieurs hiérarchiques et, de proche en proche, par toute la chaine hiérarchique ; or, cette communication est loin d’être toujours fluide ; les « problèmes sociaux » ne sont pas toujours abordés lors des réunions (quand il y en a) aux différents niveaux de la structure hiérarchique ; les informations ne remontent pas, soit qu’on ne leur accorde pas d’importance, soit que l’on n’ose pas exprimer ce qui ne va pas dans le sens supposé de ce que souhaitent les instance dirigeantes (c’est l’effet « tout va bien, Madame la marquise »).

La veille sociale par la voie hiérarchique demande donc à être organisée ; par exemple, un temps peut être consacré, lors des réunions de service, à un tour de table sur le climat social et sur les évènements susceptibles d’être considérés comme des signaux faibles d’une possible détérioration.

Exemple : Une grande entreprise industrielle, composée d’une dizaine d’établissements, a mis au point un « observatoire social » fonctionnant de la façon suivante :

  • à périodicité fixe (3 fois par an), les chefs d’équipes sont interrogés, via un support informatique, sur la base d’un questionnaire pour partie le même, pour partie différent (en fonction de l’actualité) d’une enquête à l’autre,
  • les informations ainsi recueillies font l’objet d’une synthèse à trois niveaux : le service, l’établissement et l’entreprise envisagée globalement,
  • à chacun de ces trois niveaux, ces synthèses font l’objet d’un examen en vue d’apprécier la situation sur le périmètre considéré et de mener éventuellement des actions correctives dont l’efficacité pourra être évaluée lors de l’enquête suivante.

On notera que l’expression et le recueil de ces informations étant considérés comme un acte de management, les opinions formulées, contrairement aux enquêtes d’opinion classiques, ne sont pas anonymes, mais signées par leur émetteur, lequel, bien entendu, a accès à la synthèse prévue à son niveau.

Le second canal est celui des représentants du personnel ; en principe, leur rôle est de représenter auprès de l’employeur les intérêt des salariés ; ils représentent donc une source d’information sur ce que souhaitent ces derniers, sur leurs préoccupations et sur l’image qu’ils se font de l’employeur et de ce qu’ils attendent de lui. Ils le font notamment, mais non exclusivement, à différentes occasions prévues par la loi :

  • les réunions de délégués du personnel, où ils présentent sous forme de questions les réclamations des salariés, qu’elles soient d’ordre individuel ou collectives,
  • les revendications formulées par les syndicats et présentées, au moins une fois par an, à l’occasion de la négociation annuelle obligatoire.

A ces réunions formelles s’ajoutent, bien entendu, les relations informelles entre représentants du management et représentants du personnel ; celles-ci permettent aux managers de savoir quelle est « la température » et d’avoir connaissance en temps utile des « sujets qui fâchent » afin de pouvoir, si possible, y remédier. Ce second canal de la veille sociale ne doit pas être négligé, quelles que soient les défauts que les managers attribuent souvent, à tort ou à raison, aux représentants du personnel et aux syndicalistes. Moins encore que la voie hiérarchique, elle ne peut pas, toutefois, être tenue pour fiable :

  • certains délégués confondent les souhaits qu’ils attribuent au personnel avec ceux qui leur sont propres,
  • leur connaissance des attentes de leurs mandants est souvent très imparfaite,
  • il leur arrive de se fier davantage aux principes d’action liés à la philosophie qui les anime et dont ils se recommandent qu’à ce que pourrait leur apprendre l’écoute de leurs mandants.

Au total, le point de vue exprimé par les représentants du personnel s’apparente souvent davantage à un réquisitoire contre l’entreprise qu’à une description objective de ce qui va bien et de ce qui va moins bien. Leur discours demande donc à être soigneusement décrypté, moyennant quoi il ne faut jamais oublier que par leur proximité avec le personnel ils peuvent avoir accès à des informations qui échappent aux managers, et plus encore aux dirigeants de l’entreprise.

Exemple : Dans une entreprise répartie en de nombreux petits établissements, un système de régulation efficace s’est mis en place, d’une façon purement informelle et interpersonnelle entre les managers et les délégués :

  • les délégués informent en temps utile leurs interlocuteurs des cas d’espèces susceptibles de dégénérer en tensions, voire en conflit (exemple : un employé dont les heures supplémentaires n’ont pas été décomptées) ;
  • les managers informent leurs interlocuteurs des initiatives qu’ils pensent être amenés à prendre et qui risquent d’être perçues négativement (exemple : un projet de sanction disciplinaire).

Ces échanges informels visent à traiter les problèmes au mieux et au plus vite sans avoir recours aux moyens lourds (traitement au niveau de la Direction générale, intervention officielle des DP). Ils sont largement fondés sur la qualité des relations interpersonnelles, les uns et les autres ayant réussi à dépasser les préjugés négatifs portant sur leurs interlocuteurs. Il peut arriver que ni la ligne hiérarchique, ni les représentants du personnel, ne fassent remonter à la Direction générale de l’entreprise les informations pertinentes qui lui seraient nécessaire pour comprendre l’état d’esprit qui domine à l’intérieur du corps social. Il lui faudra alors diligenter une enquête menée par des intervenant extérieurs. Ces enquêtes peuvent être de différents types :

enquêtes d’opinion fondées sur l’administration, ponctuelle ou régulière, d’un questionnaire portant par exemple sur le degré d’engagement des salariés vis-à-vis de l’entreprise ou sur leur fierté d’y travailler,

  • audits quantitatifs fondés de même sur un questionnaire administré à l’ensemble du personnel sur la base d’un référentiel pré-établi et scientifiquement validé,
  • audits qualitatifs fondés sur des entretiens en vis-à-vis avec un panel de salariés représentatifs de la population considérée.