L'interprétation des données

Le risque majeur, dans l’interprétation des données recueillies, qu’elles soient quantitatives ou qualitatives, est celui de la subjectivité. D’où la nécessité d’éviter tout jugement a priori sur les personnes mises en cause. La personne qui lui a été présentée par le DRH comme « coupable » de ce qui va mal peut être, en réalité, un bouc émissaire. Les situations sont souvent beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît et le rôle de l’auditeur est, justement, d’aller au-delà de l’apparence.

Il peut lui arriver de passer à côté de faits déterminants pour comprendre la situation, soit que ses interlocuteurs aient cherché à les dissimuler, soit qu’ils n’y aient pas accordé d’importance, faute des éléments d’appréciation qui auraient permis d’en juger. Certains faits décisifs peuvent ainsi apparaître d’une façon tout à fait fortuite, au cours d’une conversation qui, parfois, n’avait pas été prévue. L’auditeur doit donc à tout moment accepter de se laisser surprendre. L’explication a priori se révèle souvent mauvaise conseillère.

Afin de limiter les risques de subjectivité, certaines missions gagnent à être menées à plusieurs, ce qui permet une mise en  commun des informations recueillies et une discussion sur la signification à leur donner pour la compréhension de la situation d’ensemble. Ce travail en commun suppose toutefois une certaine connivence au sein de l’équipe et de fréquentes réunions de débriefing.

L’interprétation des faits constatés suppose par ailleurs de les remettre dans leur contexte et de les analyser d’une façon diachronique, en prenant en compte l’histoire de l’institution où ils prennent place. L’auditeur, dans la préparation de sa mission, aura donc à se renseigner sur un certain nombre de données propres à l’aider à interpréter les données et les témoignages qu’il rassemblera. L’analyse que fait de la situation un DRH expérimenté, notamment, peut être extrêmement précieuse. Mais bien entendu, l’auditeur doit conserver sa liberté de jugement par rapport au tableau qui lui sera dressé par ses interlocuteurs.

En ce qui concerne l’environnement de l’entreprise, il prendra notamment en compte :

1 - Le contexte syndical,pour des raisons historiques,  est souvent, en France, fondé sur la méfiance et une tendance à la confrontation ; cette tendance  vient colorer plus ou moins les relations sociales dans l’entreprise ; mais cette influence est plus ou moins forte selon l’existence ou non de traditions syndicales fortes en son sein et selon l’existence ou non d’un dialogue social actif, générateur d’un minimum de confiance. Il convient également de tenir compte de l’influence respective des différentes tendances syndicales et de leur influence réelle parmi les salariés. Le poids personnel des leaders et leur comportement personnel, enfin, demande à être pris en considération.

2 - Les particularités du bassin d’emploi sont également importantes à prendre en compte : les comportements à l’égard du travail et de l’entreprise ne sont pas les mêmes selon que l’on est en Alsace ou dans le Languedoc, dans une région rurale ou aux abords d’une grande métropole ; dans certaines banlieues, certains, parmi les jeunes salariés, peuvent avoir tendance à reproduire dans l’entreprise les comportements propres à la cité où ils habitent. Le niveau de formation et l’ancienneté moyenne du personnel, enfin, font partie des facteurs qui doivent être pris en considération.

En ce qui concerne la perspective diachronique, on prendra en compte l’histoire de l’entreprise, et notamment :

Le présent doit ainsi s’interpréter en fonction du passé. C’est pourquoi les entretiens devront permettre l’expression de la façon dont l’intéressé vit personnellement l’histoire de l’entreprise, de l’établissement, du collectif immédiat, au sein desquels il se situe ; il sera toujours intéressant de demander aux anciens quelles sont les évolutions, significatives  leurs yeux, depuis qu’ils sont dans l’entreprise ; et, aux nouveaux, quels ont été leurs sujets d’étonnement à leur arrivée dans l’entreprise, par comparaison avec leurs expériences antérieures.

L’auditeur est extérieur par rapport aux situations dans lesquelles il intervient.Et c’est ce regard extérieur qui va lui permettre d’aller au-delà des points de vue passionnels qui lui seront exprimés par les uns et par les autres. Ce qui est vécu difficilement par les intéressés peut constituer, à ses yeux, le résultat nécessaire d’une évolution somme toute banale, voire « normale ».

Exemple :

Les salariés de telle entreprise se plaignent de  ne pas savoir où les entraine la Direction générale, devenue inaccessible, de ne pas être mis au courant de ce qui se passe et de ne pas avoir l’occasion de s’exprimer à l’occasion des changements en cours. Ils sont terriblement méfiants à l’égard de l’évolution qu’ils constatent et craignent le pire pour l’avenir.

L’audit laisse apparaître qu’il s’agit d’une entreprise qui a grandi très vite et dans laquelle il y a un déficit de communication ; celle-ci reste celle d’une structure de 300 personnes alors que le nombre des salariés avoisine aujourd’hui les 3000. Autrement dit, les services support n’ont pas évolué au même rythme que l’entreprise et demanderont à être redimensionnés. Il s’agit là d’une tendance normale.

La présentation du rapport sera l’occasion de dépassionner le débat et d’expliciter la nature du problème afin de rendre évidentes les pistes d’action qui permettront de sortir de la crise. « Ce qui vous arrive est normal et se retrouve dans la plupart des structures qui ont grandi un peu trop rapidement ; c’est une crise d’adolescence qui n’a rien à voir avec une quelconque mauvaise volonté des dirigeants ; il convient seulement de remédier au problème et d’ici quelques mois ce sera oublié ».